Le Colloque International « La Shoah et l’Afrique du Nord. Y avait-il des justes parmi les nations? » Organisé par la Fédération Sépharade du Canada (FSC)
Entrevue avec Avraham Elarar, Président de la FSC
Propos recueillis par Elias Levy

La Fédération sépharade du Canada (FSC) organise, les 14 et 15 novembre prochains, un colloque international hybride (en présentiel et en virtuel) ayant pour thème : « La Shoah et l’Afrique du Nord. Y avait-il des Justes parmi les nations? ». Avraham Elarar, président de la FSC et principal maître d’œuvre de ce forum de réflexion académique, nous explique les objectifs de celui-ci.
Comment et quand est née l’idée d’organiser ce colloque?
Avraham Elarar: Elle a germé il y a deux ans au cours d’une discussion à bâtons rompus avec les membres du comité exécutif de la FSC. La lecture du livre du politologue et historien américain Robert Satloff, Among the Righteous (Parmi les Justes), n’a fait que confirmer mes connaissances sur ce sujet, très peu étudié. Il rappelle dans son livre qu’en Afrique du Nord, des Arabes ontaidé des Juifs pendant la Shoah. Je passe beaucoup de temps à éplucher et analyser des statistiques. Le Mémorial de YadVashem, à Jérusalem, a décerné le titre de « Juste parmi les nations » à 27 556 non-Juifs. Il me paraît impossible qu’il n’y ait pas eu aussi des « Justes » arabes. L’un des buts de ce colloque sera d’élucider cette question.
Quels seront les principaux axes du colloque?
A. Elarar: Analyser la conjoncture qui prévalait dans le monde arabe avant et pendant la Shoah aurait été certes une grande gageure. C’est pourquoi nous avons délimitéle thème de ce colloque aux pays d’Afrique du Nord. Le but principal sera d’exposer, analyser et apporter un éclairage nouveau sur les rapports entre musulmans et Juifs pendant la Shoah dans trois pays du Maghreb: le Maroc et la Tunisie, qui étaient à cette époque sous protectorat français, et l’Algérie, qui était un département français. Trois grands volets seront abordés: 1-Comment le Maroc, la Tunisie et l’Algérie se sont-ils positionnés pendant la Shoah? 2- Y a-t-il eu dans ces pays des musulmans qui ont aidé au péril de leur vie leurs concitoyens juifs? 3-Quel regard portent aujourd’hui ces trois pays du Maghreb sur cette grande tragédie humaine?
Des spécialistes renommés de ce sujet participeront à ce colloque.
A. Elarar: Ce colloque se déroulera sous le sceau du dialogue interculturel. Nous avons invité des historiens réputés juifs et musulmans, spécialistes chevronnés de l’histoire de l’Afrique du Nord, qui nous éclaireront avec leurs analyses sur ce chapitre peu exploré de l’histoire de la Shoah. Ils discuteront aussi des intiativesvaillantes entreprises par des personnalités publiques et de simples citoyens musulmans pour protéger les Juifs. On s’intéressera tout particulièrement au rôle joué par le sultan Mohammed V pendant cette période noire de l’histoire du peuple juif. Des historiens réputés du Maroc, Driss Khrouss et Mohammed Hatimi, de Tunisie, Abdelhamid Larguèche, de France, Benjamin Stora et Georges Bensoussan, des États-Unis, Robert Satloff, et du Canada, Yolande Cohen, réfléchiront à cette question. Le colloque clôturera avec la présentation du film d’Ismaël Ferroukhi, « Les hommes libres ». Une discussion avec Ismaël Ferrouki, animée par le critique de cinéma Élie Castiel, aura lieu après la projection.
Qu’attendez-vous de ce colloque?
A. Elarar: Ce colloque a un objectif spécifique: rétablir des vérités à travers des faits historiques confirmés et démystifier des idées reçues tenaces, dont celle alléguant qu’il n’y a pas eu de« Justes » dans les pays arabes. Une vision réductrice de l’Histoire qui omet complètement les actes de bravoure de figures publiques et de simples citoyens musulmans qui portèrent secours à des Juifs malgré les grands risques qu’ils encouraient. La tenue de ce colloque arrive à point nommé à une période charnière des relations entre Juifs et musulmans. La normalisation politique d’Israël avec des pays arabes du Golfe et lerenforcement des relations israélo-marocaines, impulsés par les Accords d’Abraham signés en 2020, ont certes brisé un vieux tabou et remis en question les principaux paramètres, qui paraissaient immuables, du conflit du Moyen-Orient. La décision du royaume du Maroc d’enseigner la Shoah dans ses écoles est indéniablement un signe prometteur de cette nouvelle ère qui pointe à l’horizon en dépit des nombreux écueils qu’ilreste à surmonter.
Publierez-vous les actes de ce colloque?
A. Elarar : Oui. Mais ce colloque sera aussi l’occasion de commencer à envisager la création d’un vrai fonds d’archives dans la communauté sépharade du Québec. Celui-ci permettra de laisser des traces tangibles de nos réalisations aux futurs chercheurs et aux prochaines générations de Sépharades. Sans prétendre être élitiste, la FSC compte jouer un rôle de leader au chapitre éducatif en organisant des colloques académiques et des événements culturels, qui s’adresseront aussi aux non-Juifs, qui contribueront a susciter des réflexionset des débats stimulantssur la mémoire et l’identité sépharades. Un travail nécessaire pour affronter les grands défis qui jalonneront l’avenir du sépharadisme.