Hommage à l’écrivain Naïm Kattan, Bâtisseur de ponts Interculturels et Fervent Ambassadeur de la Culture Sépharade
Par Elias Levy

Écrivain, essayiste et dramaturge renommé, figure marquante des relations interculturelles et fervent ambassadeur de la culture sépharade, Naïm Kattan est décédé le 2 juillet dernier à l’âge de 92 ans, à Paris.
Auteur d’une cinquantaine d’ouvrages — romans, nouvelles, essais et pièces de théâtre — traduits dans une dizaine de langues, il a laissé une trace indélébile dans les paysages littéraires québécois, canadien et de la francophonie.
Chef du Service des Lettres et de l’édition, puis directeur associé du Conseil des arts du Canada pendant un quart de siècle, professeur associé au département d’Études littéraires de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et critique littéraire au journal Le Devoir, Naïm Kattan a occupé une place de premier dans les milieux littéraires et intellectuels québécois et canadiens.
Il a été toute sa vie un passeur de cultures et un bâtisseur infatigable de ponts entre les communautés. Il a contribué notoirement au rapprochement entre la communauté juive et la communauté francophone du Québec.
Né à Bagdad en 1928 et éduqué à l’École de l’Alliance israélite universelle sise dans cette ville antique de Mésopotamie, Naïm Kattan, dont la langue maternelle était l’arabe, était viscéralement attaché à ses racines sépharades. Celles-ci sont omniprésentes dans tous ses écrits autobiographiques, notamment dans son très beau livre Adieu Babylone. Mémoires d’un Juif d’Irak, publié en 1975.
Au cours d’une entrevue accordée en 2017 au magazine La Voix sépharade, il revendiqua fièrement sa fidèle appartenance au riche héritage culturel sépharade.
« Quand je suis arrivé au Canada en 1954, je ne connaissais personne. J’ai trouvé mon chemin parce que je n’ai jamais caché que j’étais un Juif de Bagdad. C’est ce qui m’a permis d’être un homme libre. S’ils ne voulaient pas de moi, ou s’ils voulaient de moi, ils savaient qui j’étais. On me suggéra de changer de nom pour mieux m’intégrer dans la société d’accueil. J’ai refusé catégoriquement. On m’a aussi encouragé à me convertir au catholicisme. J’ai refusé aussi obstinément. Je me suis intéressé à la culture canadienne-française sans rien demander en contrepartie. Ma démarche était sincère et sans aucun a priori (…). Je suis avant tout un Juif natif de Bagdadet un écrivain québécois et canadien. J’ai toujours affirmé mon judaïsme et n’ai jamais nié ma culture arabe, dont je suis aussi très fier. Cette identité multiple m’a permisd’appartenir à la francophonie. »
Dans la lettre de condoléances qu’il a adressée à son fils, Emmanuel Kattan, lue par ce dernier le jour de ses funérailles, son ami l’écrivain franco-libanais Amin Maalouf, membre de l’Académie française et récipiendaire du prestigieux prix littéraire Goncourt, souligna l’identité fortement cosmopolite de ce passeur de cultures.
« J’ai appris avec une immense tristesse la disparition de votre père, auquel m’unissaient des liens d’amitié et même de fraternité depuis de longues années. Il nous arrivait d’évoquer avec attendrissement le destin tragique de notre région natale, si prometteuse, si infortunée. En dépit de la tristesse que nous causaient les innombrables tragédies levantines et mésopotamiennes, nous finissions toujours par trouver ensemble de quoi sourire, et même de quoi espérer. Naïm aimait les pays et les gens, les livres et les langues, la poésie et l’Histoire, ce qui faisait de chaque conversation avec lui, à Paris comme à Montréal, un moment de vrai bonheur. Des moments qui auront été finalement trop peu nombreux, mais qui furent précieux et inoubliables. »
Pour Naïm Kattan, le judaïsme était un chemin qui menait vers l’universel. Il voyait dans les récits bibliques l’expérience de l’humanité tout entière, rappela Emmanuel Kattan dans l’oraison funèbre très poignante qu’il prononça lors des obsèques de son père.
Naïm Kattan était aussi un apôtre infatigable du rapprochement interculturel.
« Mon père m’a appris ce que signifie la réconciliation. En arrivant au Québec dans les années 50, il a découvert un pays plein de promesses, mais aussi un pays divisé. De manière assez maligne, il a utilisé son statut d’étranger pour tisser des liens dans tous les camps, pour se lier d’amitié avec des gens de tous les partis. Il avait des amis fédéralistes et nationalistes, anglophones et francophones, juifs et non-juifs. Sans verser dans l’irénisme, mon père était un idéaliste: il croyait que la culture, en s’élevant au-dessus des débats politiques, pouvait servir de vecteur pour réconcilier les peuples. Il cherchait avant tout, dans les relations culturelles comme dans l’amitié, l’entente, la concorde. Lorsque mes parents organisaient des dîners, ils discutaient longtemps, âprement, des personnes à inviter. Ma mère disait: « Mais enfin, tu ne peux pas inviter ensemble untel et untel! Tu sais bien qu’ils se détestent! » Et mon père répondait: « Ce n’est pas grave, chez nous, ils ne se détesteront pas! » », relata Emmanuel Kattan.
Au cours de sa prolifique carrière, Naïm Kattan a reçu plusieurs distinctions honorifiques fort prestigieuses: l’Odre du Canada; l’Ordre national du Québec; Officier de l’Ordre des Arts et Lettres de France; Chevalier de la Légion d’honneur; le prix Athanase-David, la plus haute distinction décernée par le gouvernement du Québec dans le domaine culturel; plusieurs Doctorats honorifiques; il a été le premier récipiendaire du prix Hervé-Deluen, institué par décision de l’Académie Française pour récompenser un créateur culturel pour sa défense du français comme langue internationale…